La naissance d'un être. Dans bien des cultures, cette étape, essentielle à toute vie, est considérée comme déterminante pour la destinée d'un être.
Mais en fait, tout cela est bien subjectif. Tu es né un douze janvier à cinq heures cinquante-sept du matin, dans un hôpital de Bruges, en ce charmant pays que l'on nomme Belgique, avec une petite semaine d'avance par rapport à ce qui était annoncé par la gynécologue de ta chère maman, une dame du nom de Josianne Ballandreau. Intéressant n'est-ce pas ? Mais de là à penser que ton signe astrologique, ton avance pourtant relativement commune ou les vapeurs de frite qui flottaient dans l'air, etc... pourraient décider de ton avenir.
Tu es né. Deux ans durant tu as vécu dans ta Belgique natale avant de la quitter, sans regrets, sans souvenirs. Non, en deux pauvres petites années passées à baver sur tes biberons, tu n'as pas eu le temps de te forger un esprit patriote. Fin de l'aventure belge, tu n'y retourneras que périodiquement, quelques semaines de vacances chez tes grands parents, en touriste.
Papa, Maman et Jean-Camille partent donc faire fortune en France. Bien mal vous en prit, tu te surprend parfois à imaginer ce qu'aurait été ta vie si vous aviez continué à manger des frites, une fois.
Maman se heurte à la sottise de l'éducation nationale où elle travaillait. Papa... Exerce un métier que tu ne saurais définir, mais que l'on nomme communément « cadre ». Toi, tu as deux ans. Et ton malheur commence là.
Les relations entre voisins sont bien importantes dans notre société. Ça, Mr de St Andrez, Baron de Mertoz, le sait. Un homme avisé. Il sait aussi que pour son cher fils, il est important de se frotter aux relations sociales. C'est ainsi que toi, fraîchement arrivé en France te vois convié à un événement de la plus haute importance. L'anniversaire du jeune Gabriel de St Andrez. Quelle bonne idée. Après tout, vous avez le même âge. Et tu ne seras point seul, car furent conviés une bonne partie des gamins de la petite crèche « Les Sapins ».
Et pourtant, sur la trentaine d'enfants, il a fallu que ce soit toi. Il a fallu que ce soit toi qui commette ce si grave péché. Vil malfrat, pendard. Jean-Camille, à peine arrivé sur ce sol, tu t'attire les foudres du pouvoir. Tu as osé subtiliser le dernier Petit Écolier de Lu. Celui-là même que convoitait le seigneur des lieux, le jeune et redouté Gabriel.
Un biscuit et voilà la guerre allumée.
On vous séparera vite, mais les adultes resteront attendris par cette petite querelle qu'ils jugent « adorable » pour des enfants de votre âge. Quelle grossière erreur. L'étincelle de colère allumée ce jour là ne s'éteindra pas de sitôt. Il brûle encore le brasier de la haine, il brûle tout.
Le conflit enflera chaque jour, s'envenimera. On s'étonne de te voir, toi, le calme enfant, adorable avec tout le monde, te jeter sur l'autre avec rage. Mais après tout, à cet âge là, ça paraît bien normal. Vous passez de longues heures au coin à « méditer sur vos actes », ou, plus vraisemblablement, à chercher le moyen de faire manger une poignée de vers à l'autre quand sera venue l'heure de la récréation. On ne soupçonne pas combien les enfants peuvent être cruels entre eux. On prend ça pour une adorable rivalité, mais il n'y a pas d'enjeux, pas de gamine à couettes à séduire, pas d'adulte à épater. Rien. Il n'y a que cette éternelle querelle, un cercle vicieux où règne la vengeance, où les intérêts personnels sont rois, où d'innocents tiers peuvent se trouver impliqués.
Ne sous-estimez jamais un enfant.
Jamais.
Mais ta vie entière ne tourne pas autour de son altesse, seigneur des enfoirés. Tu es encore un petit garçon, tu as un papa et une maman. Mais leur couple s'étiolera à partir de l'année de tes neuf ans. Maman est excédée par ses conditions de travail, par les parents d'élèves, par son sentiment d'inaction. C'est une femme motivée, ta mère.
Papa, lui, semble plutôt heureux de son poste, on lui reproche son manque d'ambition, de ne pas demander d'augmentation. L'amour qui unissait les deux jeunes gens se fissura lentement, et la demande de divorce fut vite déposée. On aurait pu s'attendre à ce que tu sois dès lors trimbalé entre tes deux géniteurs, mais maman décida d'accomplir son rêve de toujours et s'envola sans plus attendre vers le Togo avec une association humanitaire. Sois fier Jean-Camille, maman construit des écoles en Afrique. Mais tu la vois plus rarement, quand elle rentre en France, bronzée et épanouie. Cependant, tu ne souhaiteras jamais la rejoindre. Là-bas, il fait trop chaud et tu n'es pas fait pour les travaux manuels... Et tu auras bientôt besoin d'un suivi médical régulier. Reste donc en Normandie, chez les vaches et la cuisine à la crème fraîche.
Papa s'occupera de toi. Veillera sur ton petit être.
Mais il ne pourra pas te protéger de la maladie. Dix petites années remplies de sucreries s'achèvent. C'est lors d'une visite de routine chez ton médecin traitant (répondant au doux nom de Marc Musial) que ton diabète est dépisté. Diabète de type 1. Diabète Insulinodépendant. Diabète Juvénile. Peut importe le nom qu’on lui donne, tu es maintenant condamné à t'injecter chaque jour tes doses d'insuline, si tu ne veux point voir ta vie s'arrêter là suite aux complications d'une crise d'hyperglycémie. Dis au revoir aux Petits Écoliers de Lu et autres sucreries grignotées en dehors de repas. Relativement calme et mature, entouré d'infirmiers et aidé par ton père, tu réussis tout de même à t'habituer à ton traitement, bien que tu éprouve quelque jalousie envers ceux qui peuvent vivre leur vie sans être obligés de suivre de contraignants horaires.
Tu as douze ans quand ton père te présente sa nouvelle conquête. Tu as douze ans et, en voyant ton père rougissant comme un adolescent, tu te dis que ce doit être une très belle femme. Tu as douze ans quand tu vois cette personne entrer dans la cuisine où tu t'attelais à tes exercices de français. Tu as douze ans, tu sais reconnaître un homme d'une femme, et ce que tu vois là semble être un homme.
Mais tu es tolérant après tout. L'école multiplie depuis deux ans les interventions, cours d'éducation civique où l'on vous répète que les homosexuels ne sont en rien différents des autres, que les préférences des gens ne sont pas un critère permettant de juger leur valeur. Non.
De plus, ce type est un type bien. Un type gentil, vous discutez longuement et tu n'arrive pas à éprouver la moindre antipathie à son égard. Ton père semble si heureux, et, bien que tu sois quelque peu gêné par la situation, tu te sens déjà assez coupable de lui imposer ton régime sévère pour lui refuser son bonheur.
Un seul problème demeure : le nom. Ton père s'appelle Jean-Yves, toi, Jean-Camille, lui, Jean tout court. Toi qui te fichais royalement du nom dont on t'affublait, tu préfère dorénavant laisser ton premier patronyme à l'ami de ton paternel.
Jean, après presque une année d'hésitations, finit par s'installer chez vous. Sans doute dans sa grande gentillesse avait-il peur de te gêner. Mais tu étais plutôt heureux de voir la maison s'animer de nouveau, redevenir un foyer.
Mais, comme à son habitude, il fallut qu'Il s'en mêle.
Était-ce les ragots ? Sa position de voisin ? Le fait que Jean travaillait dans l'entreprise de Mr de St Andrez père ? Tu n'en sauras jamais rien, mais Gabriel fut vite au courant.
Si ce n'avait point été ton père, il n'aurait sans aucun doute jamais osé insulter ce couple. Si un adulte responsable s'était tenu dans les parages, il n'aurait sans doute jamais proféré de telles paroles... Mais un mercredi après-midi, prenant pour faux prétexte un exposé à faire, il s'invita en ta demeure. Après quelques commentaires désobligeants sur la décoration qualifiée de miteuse et bas de gamme, après quelques rappels sur la richesse de sa famille, sur la taille de son manoir, il attaqua.
En bon hôte, tu préparais un thé. Tu feignais de n'être point atteint pas les insultes. Tant qu'elles restaient cantonnées à la maison. Elles dérivèrent sur les habitants. Ça ne rata pas, tu avais beau être calme et courtois face au reste du monde, cela t'étais impossible quand ton interlocuteur s'appelait Gabriel de St Andrez. Perdant ton calme, tu envoya avec rage la théière tout juste remplie d'eau bouillante à la figure de cet importun. Tu refusa d'apporter les premiers soins au brûlé, ressentant un certain plaisir sadique à l'idée que le blond serait sans doute défiguré à vie.
Le grand brûlé trouva l'occasion de se venger plusieurs mois plus tard. Jean devait faire un court voyage d'affaire, ton père le suivit, profitant de ce prétexte pour ajouter deux jours de repos sur place. Un simple voyage entre amoureux. Tu avais depuis longtemps appris à t'administrer seul tes doses d'insuline, mais l'on ne voulait pas te laisser seul. Tu avais demandé à tes rares amis, mais aucun n'était disposé à t'accueillir, il fallait dire que tu n'avais que peu d'amis, des connaissances tout au plus, ils craignaient sans doute trop de s'attirer les foudres du caïd du coin pour s'approcher de toi plus que nécessaire.
Tu désespérais de ne trouver personne et allais te résoudre à aller chez tes grands parents malgré le fait que vous soyez en période scolaire, quand ton père t'annonça avec un grand sourire qu'il avait trouvé la solution au problème. La solution parfaite.
Car vos illustres voisins étaient prêts à t'accueillir pour ces quelques jours. On espérait même que tu pourrais enfin régler le léger différent que tu avais avec Gabriel. Ces adultes cultivent l'euphémisme. Tu savais parfaitement qu'il était vain de tenter une quelconque réconciliation, car Gabriel te haïssait encore plus depuis que tu avais abîmé son charmant minois, lui qui commençait tout juste à être populaire auprès de la gent féminine.
Mais tu n'avais pas réellement le choix. À contrecœur tu te rendis au manoir, excellents acteurs, vous mimèrent une entente cordiale devant les maîtres de maison, le séjour semblait se dérouler parfaitement. Même si tu étais fort mal à l'aise, on ne manquait évidemment pas de te rappeler ton statut de prolétaire, en parlant de la destination des prochaines vacances (Madagascar ou New York ?), en vous emmenant au collège en voiture de luxe, en servant aux repas des mets de grand standing. Mais tu jouais le jeu, tout en comptant mentalement le temps qu'il te restait avant de retourner chez toi.
Mais un soir, tu ne put retrouver tes doses d'insuline, tout ce qui avait trait à ton traitement avait miraculeusement disparu. Il ne te fallut pas longtemps pour deviner l'identité du coupable, mais à peine en avais-tu parlé à ce cher Gabriel qu'il te fit comprendre que si tu osais l'accuser publiquement, personne ne te croirait. Il avait raison, tu le savais bien. Tu aurais pu insister, te plaindre. Mais cette petite farce semblait être un des défis qu'il était habitué à te lancer. Le premier qui cédait perdait. Ta fierté mal placée t'interdisait de laisser tomber.
Un bien mauvais choix, car c'est toi qui tombas, ton taux de glycémie grimpa jusqu'à ce que tu sois admis à l'hôpital en urgence. Tu ne t'en rendais pas compte à l'époque, mais maintenant, tu frissonne d'être passé si près de l'issue fatale... Et tu ne le hais que plus.
Mais la haine ne fait qu'engendrer la haine, vos vengeances montaient graduellement et c'était ton tour de jouer. Coup après coup,vous deveniez plus exécrables, mais tu fut le premier à utiliser un pion pour parvenir à tes fins.
Ton séjour t'avais peut-être conduit à l'hôpital, mais tu avais eu le temps de faire la connaissance de le jeune Chloé, tu avais eu le temps de voir combien son frère était attaché à elle. Handicapée, tu t'étais bien senti quelque peu compatissant, mais, les yeux voilés par la rage, tu ne tenais plus compte de ce futile détail. Ta haine franchit un nouveau palier, tu impliqua un tiers innocent.
Tu savais combien Chloé s'ennuyait, vissée à son fauteuil roulant, malgré les soins de son frère. C'est avec le masque de la bienveillance que tu lui proposa d'aller faire un tour. La journée était caniculaire, elle se montra d'abord réticente, avant d'accepter. La balade fut agréable, vous parliez de tout et de rien, sympathique chevalier servant, tu l'assis sur un banc public dans un parc désert à cause de la chaleur de ce jour. Tu partis chercher une boisson, fis
mine d’aller chercher une boisson. Mais tu ne revins pas. Abandonnant la fragile enfant à son sort, tu t’éloigna de là, rentrant chez toi l’air de rien.
Plus tard dans la soirée, tu le vois, marchant de long en large dans la rue, il avoir perdu quelque chose. Toi, en sécurité du haut de la fenêtre, tu l’interpelles, l’appelles
Briel’, usant du surnom utilisé par Chloé. Dans ta tour d’ivoire, tu te délectes de voir l’inquiétude grandir, de voir ses traits se figer quand il comprend. Tu perçois des insultes, des cris. Mais tu as déjà fermé la fenêtre.
La jeune demoiselle fut vraisemblablement hospitalisée, elle aussi. Une grosse insolation, rien de plus. Mais tu applique la loi du Talion, œil pour œil, dent pour dent. Tu ne l’a pas revue depuis, sans doute son frère lui a-t-il interdit de te revoir, d’ailleurs, il n’est même pas sûr qu’elle ait pu en avoir envie. Après tout, pour te venger de ton propre envoi entre les murs bleu ciel, tu n’as pas hésité à mettre en danger la vie de la personne qui compte le plus pour lui. Malgré ce que tu voudrais croire, tu es bien pire que lui. Il ose au moins t’attaquer directement, il ne se cache pas, n’utilise pas de pions pour atteindre son but. Mais après tout, c’est au premier qui mettra l’autre échec et mat, tu ne recules devant rien, malgré tes adorables sourires.
Tu attends le retours de flamme, te prépare déjà à riposter… Mais, étonnement, pendant bien longtemps, aucune punition digne de ce nom ne se fait sentir. Rien que de ridicules anicroches. Un sac lacéré au cutter, des bousculades, racket, croche-pieds, humiliations publiques. Des broutilles, tu te surprends à penser que l’imagination du blond est épuisée, que ta victoire est proche…
Mais tu te trompe, un curieux événement va bientôt déclencher la contre-attaque.
Un jeudi, jour où tu allais à la piscine avec le lycée sur conseil de ton médecin, alors que tu débarrasses ton corps de toutes traces de chlore sous le jet trop froid d’une douche, tu sens une certaine nausée te prendre, ta chair semble se mouvoir désagréablement. Un vertige, tu glisses sur l’eau savonneuse, tombe au sol avec fracas. Par terre tu constates avec incrédulité que ton pauvre corps s’est subtilement transformé. Un torse arrondi, une peau plus lisse, des hanches creusées, des jambes plus fines, des cheveux plus longs… Et un vide intersidéral entre les jambes. Tu as déjà quinze ans, tu es un adolescent, ta nature trop réservée, ton manque d’affinités t’ont empêché d’en observer un de près, mais tu sais à quoi ressemble un corps de femme.
Tu reste là, effaré, immobile, recherchant une explication rationnelle au phénomène. Tes camarades ont pour la plupart déjà quitté les vestiaires. Mais il reste une personne, horrible personnage à l’affût du moindre faux pas de ta part pour pouvoir enfin t’écraser, remarquant que tu n’es point sorti de ta cabine de douche, c’est avec un certain plaisir qu’il tambourine contre le panneau de résine opaque. Tu lui ordonnes de bien vouloir dégager prestement. Mais tes cordes vocales semblent être elles aussi touchées par ta subite transformation, c’est une voix trop féminine qui s’échappe d’entre tes lèvres, titillant sa curiosité.
Les verrous des douches de piscine sont de plastique tendre, aisée est leur ouverture, même de l’extérieur. Après quelques sarcasmes Gabriel parvient à tourner le loquet grâce à une pauvre paire de ciseaux. Malgré ta résistance contre le battant, la porte s’ouvre finalement. En une autre occasion, la tête qu’il faisait aurait été une de tes plus belles victoires. Mais tu ne comprends que trop bien la surprise qu’il a pu éprouver… Avec effrois, tu vois sur ce visage balafré l’ébahissement se transformer en un rictus de satisfaction, un sourire sadique qui ne présage rien de bon. Avec un sournois ricanement, il quitte la pièce.
Tu te rhabilles en vitesse, pestant contre ces seins nouvellement apparus qui ne rentrent mal dans ta chemise, qui t’élancent douloureusement, contre tes pieds qui ont rétrécis… Tu entoures une bonne moitié de ton visage de ton écharpe et, ayant aperçus cet être haï devant l’entrée principale, tu te faufiles par une sortie de secours et faisant fi des derniers cours de la journée, tu rentres chez toi en courrant.
Trop d’exercice pour une après-midi, tu manque de tomber en hypoglycémie, mais c’est pleurante, tremblante, que la petite demoiselle que tu es arrive à la maison. Tu y retrouves Jean qui ne travaillait que le matin le jeudi. Après avoir avalé quelques morceaux de sucre, tu lui racontes le phénomène.
Et voilà que le compagnon de ton père te raconte une histoire abracadabrante qui te semble être librement inspirée d’un célèbre saga avec un sorcier à lunettes. Hélas, devant les faits, tu es bien obligé de le croire. Bonjour Camille, le mec de ton papa vient de t’apprendre qu’il avait lui aussi un don (celui de repérer les dons des autres plus exactement) et qu’il y avait une école du nom de Poudela… Synchronicity pour apprendre à contrôler ce bordel.
Par chance, tu réussis à reprendre ta forme originelle après une bonne nuit de sommeil, mais dans ta boîte aux lettres a bel et bien été déposée une enveloppe provenant de la mystérieuse école russe. Mais la réalité te rattrape vite et il faut bien que tu te résolves à retourner au lycée. Tu t’arranges pour y passer le moins de temps possible, tu évites Gabriel comme la peste, t’enfuis dès la fin des cours. Jamais tu n’as autant détesté que quelqu’un t’appelle Camille.
Mais tu ne peux le fuir trop longtemps. Après plusieurs jours de fuite, il parvient à t’attraper. Sans te laisser d’occasion de te rebeller il te traîne chez lui, ordonne aux domestiques de ne pas vous déranger, vous enferme tous deux dans sa chambre. Une pièce bien trop vaste pour toi. On t’assoit sur le canapé de cuir, Gabriel semble bien décidé à avoir des explications. Mais il est, bien entendu, utopique d’espérer une conversation calme entre vous deux. Les propos s’enveniment. Le ton monte, comme toujours incapable de te contrôler en sa présence, tu lèves la main le premier.
Mais tu n’es pas de taille, toi, chétif insecte. Bien vite tu te retrouves immobilisé par une poigne de fer.
Il tient sa vengeance, tu vois son sourire triomphant, sens avec effroi ses mains parcourir ta peau, tente de lutter contre ses doigts qui dessinent des cercles de feu sur ton épiderme. Tu voudrais crier, ton honneur te l’interdit. Les tissus te recouvrant sont bien vite ôtés, sans que tes protestations ne soient prises en compte.
Il se venge, se venge de ce que tu as fait à sa sœur, à coups de reins. Tu pleures de douleur devant sa sauvagerie.
Il se venge, se venge de ce que tu as fait à son visage, ses ongles entaillent la chair de ton dos. Tu gémis, étouffe un hurlement quand tu sens des flammèches te marquer, de l’épaule à la chute de tes reins.
Il découvre son don, lui aussi, et par la même occasion, te marque à jamais. Cette soirée, tu es condamné à te la remémorer dès que tu verras cette cicatrice qui serpente dans ton dos, cette soirée et surtout ce viol. Sur ta langue, un goût amer dès que tu l’aperçois, elle ravive ta haine, te dérobe l’oubli.
Ta mémoire est ainsi marquée de ses paroles acerbes, ta chair de la douleur. Ton esprit de ton désir de vengeance.
Toi évanoui, il ordonne à ses domestiques de soigner le champ de bataille qu’est ton dos. Quand tu repasse la porte, tu fais le serment de ne plus jamais revenir dans ce manoir. Jamais.
Tu pars aussi vite que tu le peux pour Synchronicity. Loin de lui, le plus loin possible. En Russie.
Mais cela ne fait que deux semaines que tu l’a fui que tu le croise dans les couloirs.
Lui et son visage haïssable, lui et son corps haïssable, lui et sa voix haïssable, lui et ses mots haïssables.
Lui que tu hais.
À jamais.