Isolé sur une balançoire esseulée du square, Kylian écoutait les autres jouer. Ce monde était devenu obscurité, écouter était désormais tout ce qu’il pouvait faire. Il était rare que sa mère le laisse sortir mais cette fois-là, comme une fois par semaine, Alyssa avait réussit à la persuader que laisser Kylian prendre l’air et s’habituer à sa condition serra une bonne chose. Malgré tout, leur mère avait insisté pour qu’il porte un bandeau sur ses yeux, persuadée les gens ferraient plus attention ainsi.
Et Kylian était là, comme chaque semaine, assis à balancer ses pieds pour donner le mouvement à la balançoire, ses mains serrées sur les chaines. Il entendait les autres rires, crier, courir. Il les enviait et pourtant, il n’avait jamais essayé de les rejoindre. Il avait trop peur. De ce monde qui n’était plus fait pour lui, de cette incertitude à chacun de ses pas. La moindre dénivellation imprévue le terrifiait, lui donnant l’impression de tomber pendant une fraction de seconde. Et tout autour de lui était devenu tellement exacerbé. Il avait bien essayé une ou deux fois, d’aller vers les autres mais à peine avait-il fait quelques pas, qu’il trébuchait et s’étalait de tout son long.
Il voulait juste rentrer. Il ne comprenait pas pourquoi sa grande sœur insistait tout le temps pour qu’ils viennent ici. Il descendit de sa balançoire, restant un peu accroché à l’une des chaines dans l’idée d’aller rejoindre son accompagnatrice pour pouvoir rentrer.
« Eh regardez. Le garçon bizarre a bougé ! Il va surement tomber encore. »
Il baissa la tête. Il les entendait, pourtant ils avaient murmuré ça, à quelques mètres de là. Mais il avait entendu. Il entendait toujours tout. Il voulait juste partir. Il lâcha la chaine et prit la direction de l’endroit où Alyssa s’était assise pour travailler ses cours. Mais dans sa hâte, il trébucha sur le petit rebord qui entourait l’endroit des balançoires et comme de nombreuse fois auparavant, il s’étala de tout son long dans un pouf et un gros nuage de poussière. Sous le bandeau opaque qui voilait ses yeux, de grosses larmes perlaient. Les enfants plus loin riaient en se moquant ouvertement de la chute du petit aveugle qui ne semblait pas décider à se relever. Oh, il ne s’était pas fait si mal que ça mais pourtant, il n’avait plus le moindre courage pour se remettre debout.
Alors qu’il commençait à renifler, il entendit le bruit d’une autre chute.
« Bah alors, tu tiens pas debout toi non plus ? C’bien beau de s’moquer tiens. »
Les rires s’étaient tuent un bref instant avant de rire mais plus de Kylian. Visiblement, un autre enfant était tombé mais ca n’avait pas du tout l’air d’être un accident. Finalement, des bruits de pas virent vers lui, toujours allongé à plat ventre dans la poussière, avant de s’arrêter juste à coté de lui.
« Ca va ? Tu t’es fait si mal que ça ? A moins qu’t’aime bien rester allongé par terre. »Kylian releva la tête vers la voix. C’était bien à lui qu’il parlait ? C’était la première fois qu’on venait lui parler. Son visage tout barbouiller de poussière, reniflant encore un peu, il finit par pousser sur ses bras et se retrouva rapidement assis, frottant son visage avec sa manche.
« - … j’aime pas rester par terre.
- Alors faut te lever. Aller, j’suis sympa, je t’aide. »Ni une, ni deux, une main pas plus grande que la sienne l’aida à se mettre debout sans la lâcher tout de suite. Maintenant que Kylian y réfléchissait, il avait entendu cette voix joyeuse, ce ton un peu moqueur sans être vraiment méchant. C’était un enfant qui venait souvent jouer dans le square lui aussi. Mais lui jouait avec les autres. Ceux qui riaient encore il y a quelques minutes. Pourtant, le garçon qui l’avait aidé ne lâchait pas sa main.
« Moi, c’est Dimitri ! Et toi, tu t’appelles comment ? »
D’où elle était, Alyssa souriait. C’était pour ça qu’elle voulait chaque semaine emmener son jeune frère ici. Ca avait prit le temps mais finalement, ce garçon blond avait prit les devants. Kylian affichait un air surpris et puis, sans trop s’en rendre compte, sa main finit par serrer un peu celle de Dimitri.
« Kylian. Je m’appelle Kylian. »
Gardant dans sa petite main celle de l’autre garçon, Kylian l’entendit sourire. Dans ce monde d’obscurité, il venait de se faire son premier ami. Un garçon qui avait un sourire dans la voix. Un garçon à qui rien ne semblait faire peur. Cette confiance en soit, cette assurance avait quelque chose de communicatif. Et, à cet instant, le jeune aveugle eu l’impression que tant qu’il pourrait compter sur cette main pour l’aider à se relever, rien ne pourrait plus jamais lui faire peur.
Les journées aux parcs devinrent un plaisir à partir de ce moment. Alors qu’avant, le petit garçon peureux trainait les pieds pour y aller, maintenant, il fallait qu’Alyssa tienne bien sa main pour éviter qu’il ne se mette en tête d’aller un peu plus vite. Au lieu d’un jour par semaine, ils avaient finit par y aller tous les jours. Toujours en avance par rapport aux autres enfants qui allaient à l’école, Kylian attendait sagement à coté des jeux. L’endroit avait finit par devenir familier. Il fallait dire que Dimitri était un camarade de jeux qui n’avait pas froid aux yeux et qui l’entrainait partout dans le parc. Il avait essayé une ou deux fois de dépasser la limite du parc mais le regard dissuasif d’Alyssa aurait refroidis le plus téméraire des aventuriers en culotte courte.
Le jour et la nuit. Même physiquement on aurait pu les opposés en tout point. Et quelques parts, c’est peut-être ce qui faisait que Kylian s’est attaché aussi rapidement à Dimitri. Il avait tout ce qu’il n’aurait jamais. Le petit blondinet avait du courage, était casse-cou, il était drôle, il arrivait à attirer les gens à lui. Et pourtant, il restait avec Kylian. Ce n’était pas très important aux yeux de ce dernier le pourquoi. Pour la première fois de sa vie, il avait l’impression d’être normale. Il fallait avouer que Dimitri ne le ménageait pas. Il n’était pas cruel pour autant mais il ne le traitait pas comme une petite chose fragile. Il le traitait simplement comme un égal. Kylian prit un peu d’assurance mais restait malgré tout très réservé par rapport à l’autre tête blonde. Il n’était d’ailleurs pas rare que celui-ci parle à la place du petit brun. Ils n’étaient que des compagnons de jeux sur quelques heures chaque jour.
Et puis, un après midi, Dimitri ne vint pas. En soit, ca n’avait rien d’extraordinaire. Kylian habitait à quelques pas du square alors ce n’était pas difficile pour lui d’y aller constamment. Son ami lui habitait surement plus loin. D’ailleurs, où habitait-il ? Ca faisait près de 3 mois maintenant qu’ils jouaient ensemble régulièrement dans le square ensemble. Et pourtant, à part son prénom et son caractère, Kylian ne savait rien de son ami. Avait-il un papa ? Peut-être une grande sœur comme lui. Il n’était pas rare qu’il éprouve l’envie de poser ce genre de question mais au fond, il avait l’impression de connaitre ce qu’il avait à connaitre de Dimitri. Après tout, à son âge, ce n’était pas très important de connaitre toute ces choses. Et pourtant, parfois Kylian aurait aimé pouvoir l’inviter chez lui pour jouer. Et peut-être aller jouer un peu chez lui aussi.
Assis à attendre son ami qui ne venait pas, il se résolu à lui proposer le lendemain. Il lui proposerait de venir gouter chez lui. Alyssa pourrait bien les surveiller à la maison et en plus, sa mère serait surement contente de voir qu’il avait un ami. Elle qui s’inquiétait tellement qu’elle n’arrivait plus à sourire. Un sourire dans la voix. C’était une chose qui manquait à Kylian. Il lui dirait surement demain.
Mais le lendemain, Dimitri ne vint pas. Ni même le surlendemain. Le troisième jour, Kylian sentit petit à petit son courage s’étioler. Sa main serra la main de sa sœur, sa tête se baissa pour cacher une petite larme de déception en constatant une nouvelle fois l’absence de son seul ami. Mais il ne se décourageait pas. Il devait rester à attendre. Il avait prit sa décision, il s’était promis de lui demander.
Le matin du quatrième jour, la mère de Kylian fut admise en urgence à l’hôpital. Les sorties au square furent remplacer par des visites à sa mère le temps de son hospitalisation. Les médecins parlaient de fatigue physique et morale ayant de grave répercutions sur sa santé. Durant plus d’une semaine, c’est dans une chambre aseptisée que Kylian finissait ses jours, assis à coté de sa mère qui écoutait en souriant les 400 coups de son ami. Il en profita pour demander l’autorisation de l’inviter chez eux pour le gouter.
Finalement, les médecins la laissèrent rentrer chez elle. Mais ils restaient inquiets pour son état. Même lorsqu’elle était dans leurs locaux, elle s’affaiblissait de jour en jour. Pourtant, ils rentrèrent tout les trois chez eux. Non seulement ravi de voir sa maman aller mieux, c’était surement le cas selon lui puisqu’elle avait le droit de rentrer à la maison, Kylian se réjouissait de pouvoir retourner au parc le lendemain. Il avait eu le temps de réfléchir et peut-être que Dimitri était simplement partit un peu en vacance avec son papa et sa maman. Après tout, Alyssa aussi était en vacance alors.
Mais le lendemain, le square avait beau déborder de petite tête blonde, il n’était toujours pas là. Voyant la déception sur le visage de son jeune frère, Alyssa alla discuter un peu avec quelques nourrice et mères qui amenait leur enfant tous les jours et qui raffolait des petits commérages.
«
- Dimitri ? Oh, ce petit enfant turbulent. Lui et sa tante ont déménagé et c’est une bonne chose, répondit une mère sur un ton de confidence.
- Déménager ?, répéta Alyssa surprise.
- Oui. Ils ont du déjà partir, il venu dire au revoir à quelques enfants l’autre jour, ajouta sa voisine.
- Un coq se pavanant devant sa cours. Vous savez, je crois que ce petit était bien trop gâté. Votre petit frère ferait mieux de se faire d’autre ami, reprit la première femme.
- … moi je veux jouer avec Dimitri…, finit par dire Kylian, à moitié caché derrière sa sœur, accroché à ses vêtements.
- Ma fille serait surement ravie de jouer avec toi, tu sais, assura la femme d’un ton mielleux avant de prendre la peine –inutile- de rassurer Alyssa.
Je lui ai dis de faire attention à son handicape, elle sera moins brutale que ce petit sauvage blond qui le persécutait tout le te- Aïe ! »
Sous le regard stupéfait de sa sœur qui était intervenue juste à temps ou presque, Kylian venait de tenter de donner un coup de pied à la langue de vipère, ne l’ayant que très faiblement touché à cause de l’intervention d’Alyssa. Il ne se débâtait pas mais il affiche une expression de colère manifeste qu’on ne lui avait jamais vue auparavant. La femme outrée commença d’assommer la jeune femme de reproches, assurant qu’elle l’avait bien dit que l’autre petit sauvageon avait finit par avoir une mauvaise influence sur le petit brun. La prise sur les épaules de Kylian du se resserrer pour le faire reculer alors qu’il semblait prêt à retourner à l’attaque.
«
- Kylian ! Calme-toi enfin.
- Dimitri c’est mon ami ! Elle n’a pas le droit de te parler comme ça et elle n’a pas le droit de parler de lui comme ça ! Et puis, j’entends ce que vous dites tout le temps. Je vous interdis de parler mal d’Aly ! »
Les commérages, les messes-basses. Il avait toujours tout pu entendre. Il n’avait jamais rien dit. Il était resté dans son coin. Faisant comme s’il n’entendait pas. Comme s’il n’était pas là. Alors pourquoi maintenant ? Parce qu’il commençait à comprendre. Le courage qu’on peut avoir pour les autres quand on ne l’a pas pour soi-même. Parce que sa sœur l’avait toujours protégé, elle avait veillé sur lui, elle avait voulu qu’il apprenne à vivre normalement. Parce que Dimitri était son ami, le seul à avoir été gentil avec lui, le seul à ne pas l’avoir traité comme un monstre ou un sous-homme, le seul à avoir rit avec lui. Parce que leur sourire, il voulait continuer de les entendre à défaut de ne plus jamais pouvoir les voir. Parce qu’il se découvrait la capacité de détester en même temps que celle de s’attacher à quelqu’un. Parce que maintenant, il savait qu’il ne reverrait plus jamais son seul ami.
La colère qui le faisait s’entêter à vouloir retourner faire comprendre tout ça à ses vipères finit par se muer en de grosse larme qui roulèrent sur ses joues. Finalement, ils rentrèrent, Kylian ayant finit par redevenir silencieux une fois ses larmes séchées. Il se sentait abandonné. Il retombait dans l’obscurité d’un monde sans rire et sans sourire. Il refusa à nouveau de quitter leur appartement les jours suivant et se contenta de dormir auprès de sa mère qui passait la plus grande partie de ses journées couchée.
Un jour en rentrant de l’école, Alyssa l’arracha des bras de Morphée comme ceux de sa mère en l’attirant un peu brusquement vers elle. Les bras d’Aly tremblaient alors qu’elle serrait Kylian contre elle en l’entourant d’un bras, composant un numéro. Sa mère n’avait pas réagit, elle avait continué de dormir. Dormir, paisible et immobile, d’un sommeil dont personne ne s’est jamais réveillé.
Abandonné. Il était comme au cœur d’un hiver glacial. La glace avait prit sur son cœur. Il ne voulait plus d’ami. Il ne voulait plus rien. Il voulait simplement que ces bras qui s’étreignait à cet instant, sa seule famille à présent, ne le quitte jamais. Tant qu’Aly serait là, avec lui, il vivrait avec le souvenir qu’il a eu un ami, une mère.
Le souvenir de l’étreinte et de la douceur de sa mère. Le souvenir de l’odeur de ses cheveux quand il s’endormait à ses cotés.
Le souvenir d’un été de trois mois à jouer dans le parc. Le souvenir des rires, d’un sourire dans la voix de Dimitri.